L’abbaye aux Dames de Caen, siège de la Région : un ancrage salvateur pour sa préservation (1982-2016)

 

Un site emblématique pour une nouvelle collectivité locale

 

Avec les grandes lois de décentralisation de 1981 à 1983, l’Etat français donne à la Région le statut d’une collectivité de plein exercice. D’abord logée rue de Bras, la nouvelle administration exige des locaux plus étendus. Le 17 décembre 1981, elle formule le projet d’achat et d’aménagement de l’hospice Saint-Louis qui à cette date s’est déjà vidé d’une grande partie de ses pensionnaires. Son propriétaire, le Centre hospitalier régional de Caen a en effet décidé en 1974 de le transférer dans l’ancien couvent de la Charité situé route de Falaise, une opération qui s’achève seulement à la fin de l’année 1984. A ce moment-là, la réhabilitation des bâtiments a commencé suite à leur acquisition le 8 juin 1983 par l’établissement public de la Basse-Seine pour le compte de l’établissement public régional de Basse-Normandie, moyennant 11 millions de francs. La réforme territoriale engagée en 2013 aboutit au 1er janvier 2016 à un nouveau découpage administratif, grâce auquel la Normandie retrouve une unité territoriale aux frontières voisines de celles du duché, et à la désignation de l’abbaye aux Dames comme siège de l’autorité de la Région.

Un monument historique pour la Région Basse-Normandie

 

Lorsque l’architecte en chef des monuments historiques, Georges Duval (1920-1993), présente son rapport le 4 septembre 1981, les anciens bâtiments conventuels, classés le 24 juin 1976, présentent un certain nombre de désordres structurels et de dénaturations inhérentes à la fonction hospitalière. Son projet a une double finalité : réhabiliter l’architecture classique des bâtiments tout en donnant à voir les marques du temps et l’adapter d’une manière respectueuse à sa nouvelle dévolution. La destruction de cloisonnements modernes a ainsi permis de rendre aux salles disposées autour du cloître leurs proportions initiales. Les façades ont bénéficié d’un nettoyage qui révèle la rigueur de l’élévation. Les châssis vitrés à petits carreaux qui fermaient les arcades du cloître sont retirés au profit d’un verre épais qui maintient la vue sur la cour plantée. La réfection des maçonneries et des toitures, des voûtes et des pavements du cloître assainit les bâtiments et redonne aux volumes une unité. La destruction programmée de plusieurs corps de bâtiment vise à retrouver une cohérence architecturalement homogène correspondant à la période de l’Hôtel-Dieu (1821-1908). Dans les étages prennent place les bureaux et salles de réunion tandis que la salle des assemblées du conseil régional s’installe à l’extrémité sud de l’aile nord-est. En janvier 1986, ce fleuron de la cité caennaise a retrouvé son intégrité.

Avant et après la première campagne de travaux (1983-1985)

Meubler les bâtiments du conseil régional

 

Lorsque la Région Basse-Normandie prend possession des lieux en mars 1986, les bâtiments n’abritent que du mobilier administratif. A l’instigation de son nouveau président, René Garrec, la collectivité développe une politique d’acquisition de meubles anciens et d’œuvres d’art destinés à l’Hôtel de Région situé dans l’aile nord-est, aux salles de réunion et de réception. En dehors des quelques tableaux retrouvés à l’abbaye de Mondaye et exposés au pied de l’escalier d’honneur de l’aile ouest du cloître, les pièces acquises n’ont pas de lien direct avec l’histoire de l’abbaye. Parmi celles-ci, se distinguent un papier peint chinois du XVIIIe siècle provenant du château de la Tour situé sur la commune de Saint-Pierre-Canivet, des pièces de tapisserie d’Aubusson et de Beauvais et des tableaux de maîtres du XIXe siècle.

L’évolution urbaine autour de l’abbaye depuis le début du XXe siècle

 

Après la Deuxième Guerre mondiale, la place Saint-Gilles est considérablement modifiée par la construction d’immeubles collectifs édifiés sur les plans de l’architecte en chef Marc Brillaud de Laujardière. Les sociétés savantes locales s’inquiètent alors de leur impact sur la perspective de l’église abbatiale, classée au titre des monuments historiques par liste de 1840. Si celle-ci est préservée, son environnement devient quant à lui plus minéral qu’il ne l’était au siècle précédent quand des arbres avaient été plantés à l’emplacement du cimetière paroissial Saint-Gilles. Le parvis actuel, aménagé devant l’église dans les années 2000 était occupé auparavant, par un rond-point. L’urbanisation croissante des quartiers Saint-Gilles, Saint-Jean-Eudes et Calix, qui s’accélère dès les années soixante, modifie radicalement l’environnement resté champêtre du site monastique. Depuis la tour de la croisée de l’église, le regard porte loin, des clos aux confins des limites paroissiales septentrionales, jusqu’au Moulin au Roy (détruit), dont la toponymie actuelle conserve la trace.

La restauration des jardins dans l’esprit du classicisme français

 

A l’issue du concours, organisé en 1991 après l’acquisition du parc auprès du C.H.R. de Caen, qui conserve cependant quelques parcelles situées au-delà de l’allée secondaire nord, le paysagiste Michel Bourne entreprend la réhabilitation des jardins avec l’aide des services techniques de la ville, puisant son inspiration dans le dessin structuré des jardins louisquatorziens et dans les documents iconographiques sur Caen au XVIIIe siècle. A cette occasion, la flore arbustive fait l’objet d’un diagnostic et d’un plan de régénération notamment pour préserver les allées, classées au titre des sites depuis 1932. Une centaine de tilleuls communs plus que centenaires, sont conservés dans les alignements, d’autres tilleuls, euchlora, remplaçant les sujets morts et malades. Bâti selon un rythme binaire – parterre engazonné et quinconces de charmilles – le jardin s’étend dans le prolongement des bâtiments conventuels suivant un axe central qui s’étire entre un rond-point enherbé et l’ancienne glacière de l’Hôtel-Dieu. En contrepoint de l’entrée existante, une autre est créée ex-nihilo avec la participation du lycée technique Jules-Verne de Mondeville qui en réalise la fermeture en fer forgé. Bien que partiellement amputé, le parc public d’Ornano possède un patrimoine arbustif remarqué qui atténue la rigueur austère de son tracé.

Avant et après la deuxième campagne de travaux (1990-1992)